Jill Wheatley : une vie sans limite

« Un stage à Eiger organisé par Gediminas Grinius et la rencontre avec Jill Wheatley a été une évidence. Sa gentillesse, son humilité, sa joie de vivre ont fait que cette femme sportive est devenue mon amie. Lui proposer d’être son partenaire média est alors une évidence. Venez la connaître à travers cette longue interview qui vous bluffera et à la fin de votre lecture, vous irez sans aucun doute la suivre sur les réseaux sociaux ! »

Carole PIPOLO

Jill Wheatley, qui es-tu ? Quel est ton job ? Depuis quand cours-tu ?

 

 

 

J’ai quitté le Canada à la suite d’une opportunité d’enseigner à Singapour, puis en Russie, en Suisse et enfin en Allemagne. J’étais un professeur d’éducation physique et sportive et j’entraînais en Bavière quand ma vie a changé en un instant. 

D’une athlète active et autonome, je suis devenue une personne clouée au lit et presqu’aveugle en une fraction de seconde.

 

Peux-tu nous en dire davantage sur l'accident qui a changé ta vie ?

C’était un samedi matin qui commençait comme n’importe quel autre, avec une classe de lycée. Un tir de baseball, une balle en pleine tête… C’est là qu’a commencé un long test de ma force mentale et de mon potentiel humain. Une équipe médicale, des centaines de mains dans 7 hôpitaux à travers 3 pays différents, m’ont guidée vers un sommet que je pensais impossible à gravir suite à ma lésion cérébrale traumatique. (TBI : Traumatic Brain Injury). Alors que je mourrais d’envie d’y arriver seule, ils m’ont portée vers le sommet, mais mon travail intérieur ne faisait que commencer… Dès lors, je traversais en permanence un terrain d’avalanche engendré par mon TBI avec 70 % de perte de vision auquel sont venus s’ajouter des désordres alimentaires qui ont failli me coûter la vie.

Aucune montagne ne pourra jamais me défier de la façon dont mon TBI l’a fait. Après 26 mois de soins médicaux, j’ai choisi de partir à l’assaut de massifs montagneux à travers le monde tout en effectuant un travail d’adaptation face à ma perte de vision et d’acceptation devant le nouveau chemin que ma vie avait pris.

J’ai couru, grimpé et skié partout dans le monde, profitant des 30 % de vision que j’ai la chance d’avoir encore. Mes sentiers m’ont emmené en Andorre, dans les Dolomites, dans les Alpes suisses et françaises, en Slovénie, en Islande, en Inde et au Népal dans l’Himalaya, en Nouvelle-Zélande, en Argentine, au Pérou et dans les Rocheuses américaines

De la quasi-survie à l’acceptation et l’envie d’en profiter, mon but est à présent de :

  • vivre le moment présent
  • explorer les montagnes comme les tréfonds de mon âme avec curiosité
  • briller fort et se réjouir des prochains projets
  • repousser des barrières et continuer à explorer d’autres montagnes
  • utiliser ma vulnérabilité pour me connecter avec d’autres personnes et les encourager

Le Webzine de Jill Wheatley

J’ai lu sur ton webzine http://mountainsofmymind.com/ que tu avais l’habitude de voyager beaucoup. Peux-tu nous en dire davantage sur ces voyages ? Que trouves-tu à l’étranger quand tu cours, randonnes ou grimpes des cascades de glace ? Qu’est-ce que ces expériences apportent à ta nouvelle vie ?

Merci d’avoir pris le temps d’explorer mon site « Mountains of My Mind ».

Je suis beaucoup plus à l’aise pour voyager et naviguer dans la vie que je l’étais en quittant l’hôpital. Une leçon de fugacité et de mise en perspective, voyager est beaucoup plus facile que lorsque je suis sortie perdue et anxieuse de l’hôpital, pour un temps rattrapée par ma vie d’avant.

 

 

 

J’ai cartographié 13 massifs montagneux autour du monde, pressentant qu’aucune montagne ne pourrait me défier autant que mon traumatisme au cerveau. Me donnant une année pour célébrer la vie que j’avais presque perdue, je me suis mise en route avec l’espoir de trouver un endroit plus en accord avec mon nouveau chemin de vie, avec ma perte de vision à 70 % et avec tous les nouveaux aspects que le TBI a changé en moi. Plus de 3 ans et demi après, l’aventure et le travail sur moi-même continuent.

La sérendipité de mon histoire est ancrée dans les leçons que j’ai apprises à la suite de mon accident et les personnes que j’ai rencontrées tout au long du chemin.

J’ai appris que tandis que tant de choses sont hors de mon contrôle, je peux choisir la façon dont je perçois et répond aux circonstances. Je choisis l’énergie de mon attitude. J’ai appris à considérer certaines choses avec moins d’importance. En un clin d’oeil, ma vie a radicalement changé. Je pensais pendant un temps que c’était pour le pire, et cependant avec patience, force et temps, je commence à voir les inimaginables opportunités que ma nouvelle vie apporte, dans une nouvelle et inspirante direction à laquelle je n’aurais jamais pu penser avant.

Je profite des leçons de Mère Nature pendant que je m’aventure dans les montagnes. Je chéris ces moments, consciente de leur fugacité. Le changement arrive. Je sais par expérience que je peux y faire face, le surmonter et devenir plus forte. À la suite de mon TBI, j’ai appris que je suis plus forte que ce que je pouvais imaginer. Plus j’apprends, moins j’ai peur. Au fur et à mesure du développement des chapitres de ma vie, je grandis aussi. L’expérience de la vie m’a testé sans prévenir, cependant les leçons de la vie continuent.

Quelle est ton meilleur souvenir en course ? Comment t'es-tu sentie ?

Courir pour la compétition et pour gagner est loin de ma principale motivation pour le sport. Je ne fais pas beaucoup de courses puisque me challenger et simplement profiter de chaque étape de la vie que j’ai presque perdue me rendent heureuse. Cela dit, la montée pour finir l’Annapurna 100 (50 km) était une pente raide de 700 m d’escaliers presque verticaux et il pleuvait des cordes. Moins de 11 mois après ma sortie d’hôpital, la force que j’ai trouvée dans cette ascension fut un incroyable rappel de l’impermanence des choses et de la vie.

Ta vie est vraiment inspirante pour les autres. Qu'aimerais-tu partager avec nos lecteurs ?

Merci. C’est réciproquement inspirant de savoir que d’autres trouvent la lumière dans mon histoire. Cela m’a pris du temps de changer de perspective afin de voir comment partager mes « montagnes intérieures » et de me rendre compte que cela pouvait aider les autres. Les aider à apprécier la fugacité et de trouver la lumière et l’espoir dans leurs propres défis.

En tant qu’athlète ayant survécu à une blessure traumatique au cerveau, visuellement affaiblie et luttant contre des problèmes de trouble alimentaire alors que je m’aventure dans les montagnes à travers le monde, mon histoire complexe de résilience est pleine de leçons et de lumière. J’y décris l’adaptabilité, l’optimisme et l’espoir, des qualités que je poursuis sans cesse et que j’essaie de développer tout comme d’autres personnes je crois. Écrire et parler de résilience, de blessures à la tête, de trouble alimentaire, de perte visuelle, de traumatisme ou de santé mentale ou simplement en partageant mon histoire, je peux faire des connections au travers d’authentiques histoires rencontrées sur mes chemins depuis les profondeurs de l’obscurité jusqu’aux plus hauts sommets de l’Himalaya.

De survivre à m’améliorer, j’ai pour but :

  • d’être là maintenant. Être complètement présent dans l’instant présent,
  • d’explorer avec curiosité les montagnes et à l’intérieur de mon âme,
  • de mettre en lumière l’importance de la perspective,
  • de pousser des barrières, de m’aventurer dans les montagnes,
  • d’utiliser mes propres faiblesses pour me connecter aux autres et les encourager.

Dernière question mais non des moindres, quels sont tes plans pour le futur ?

Récemment, j’ai gravi le sommet iconique d’Ama Dablam (6 812 m) au Népal, renommé pour sa technicité notamment avec des parties d’escalade sur glace et j’ai également skié dans l’Annapurna. J’écris depuis Manang, un village népalais où je m’entraîne actuellement, notamment pour tenter l’ascension du Manaslu, le 8e plus haut sommet du monde. Dans ma quête de grimper de tels sommets, je m’efforce de mettre en lumière les blessures traumatiques au cerveau et les possibilités de vie malgré la perte de vision.

Interview et traduction : Marie Cazelles

Crédits photos : Jill Wheatley

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