










On tombe sur la station d’Hautacam (km 61), notre Pipolette fidèle au poste, harangue ses troupes. Allez un dernier saut d’Izard et on est à Pierrefite (km 74). C’est la première base vie et on vient de s’envoyer le tiers de la course. Ma tête est en feu, sous un jet d’eau glacé je reviens à moi. On achalande nos besaces, on se concentre, on reprend nos esprits et surtout on essaie de manger en alternant frais et consistant.


Le jour et la chaleur revoient leurs prétentions à la baisse, on repart pour 1000 mètres de D+ avec, en levant les yeux, le col de Cabaliros terrassant de grandeur. La montée, sous couvert d’une forêt majestueuse et séculaire d’érables, de frênes et de châtaigniers, a été laborieuse; je m’endors en fait.
Enfin on redescend sur Estaing un jeune coureur blessé au genou, boîte et s’appuye courageusement sur ses bâtons. Encore 1200m de montée une sieste ratée de 20’ où personne ne parvient à dormir et une descente sur Cauteret, la seconde base vie (km 111). La nuit a jeté sur moi ses heures noires et son filtre d’oubli. J’ai ma première hallucination sonore. En passant sur des guets j’entends le bruit de l’eau qui se transforme en station radio mal réglée et en bougeant la station change. Il est clair que sommeil est devenu prioritaire cette fois-ci. Après avoir mangé et quitté la cohorte des zombies de la base on va dormir 45’ dans la tente Hussarde de Carole (je vous conseille d’aller voir cette tente brevetée crée par la petite start-up française « Naïtup » c’est du outdoor 4 étoiles comme vous n’avez jamais vu !).
Malheureusement si je m’endors dans la seconde, François, lui, reste totalement éveillé.


Tant pis, on doit se lancer de 940 m d’altitude à 2640m sans le moindre replat. On traverse le pont d’Espagne puis on remonte la vallée de Gaube avec ses vasques et ses cascades, le refuge des Oulettes de Gaube puis de Bayssellance (km 129). Ca sent bon la Garbure et la bonne humeur, les bénévoles deviennent des enchanteurs et tout prend cette saveur qu’ils distillent.
Allez un dernier effort la partie finale totalement minérale est d’une beauté folle. Le Vignemale (point culminant des Pyrénées françaises avec 3298m) et son glacier aux reflets anisés regardent, monumentaux d’indifférence, la scène.
Ils sont définitivement ma madeleine de Proust au piment d’Espelette d’un bout à l’autre des Pyrénées…
Maintenant le soleil plombe notre redescente et j’ai décidé de mettre lunettes et casquette dans le sac d’allégement croyant aller plus vite. Grossière erreur d’apprenti minimaliste, mais Carole veille et nous intercepte sur notre descente vers Gavarnie (km 144).




On s’alimente encore bien. Allez une bosse et le double de descente pour aller sur Gèdre. On zappe le ravitaillement pressés que nous sommes de rejoindre la troisième et dernière base vie de Luz-Saint-Sauveur. De nouveau c’est une erreur d’appréciation, nos réserves d’eaux sont légères et les deux côtes qui nous attendent droit dans la pente sur un tapis de feuilles mortes vont faire très mal. Le jour décline, le moral se détériore franchement, je n’ai plus rien à manger et presque plus d’eau. Par chance on croise Jonathan ; un coureur direct, gouailleur, sympa à souhait avec qui on fait un brin de causette. Enfin un type qui arrive à ne pas se prendre au sérieux et qui arrive à se décentrer de SA course. Ca bouge enfin, un ravitaillement sauvage, salutaire et goûtu, fait par un couple de retraités au pied de leur maison, nous sauve des restrictions engagées. On se gave de quatre-quarts pur beurre et d’amandes parfumées avant de remercier ce tandem angélique.
La première féminine, Séverine, nous rattrape en pleine forme et les premiers de l’épreuve du 120km nous dépassent avec des états allant de la grâce totale au surrégime inquiétant après juste 50km d’épreuve.


Nous voilà enfin à Luz (km 167) il n’y a plus que 50km avec une mise en bouche de 1700 D+. Après une hésitation tactique, on décide de repartir sans dormir à chaud pour une seconde nuit quasi blanche.

On retrouve nos compagnons de descente mais je m’endors dans la montée. Je fais diversion, j’appelle mes enfants, je parle de tout et n’importe quoi. Je chauffe un peu Jonathan sur sa vie professionnelle. C’est un tout jeune retraité, tireur d’élite, de l’armée de terre et il a des cartons d’’aventures rocambolesques et un parcours incroyable. Dans la montée les coureurs sont alignés comme des allumettes dans l’herbe terrassés par le sommeil. Je suis encore réveillé mais François commence à accuser le coup après le refuge de Glére (km 185 et 10800 de D+). Le terrain devient très technique (j’ai presque envie de dire enfin). Mais la fatigue impose une sieste de 20’ dans notre sac de survie. Cette fois-ci François s’endort et récupère tandis que je suis gelé et bien moins euphorique. Nous sommes seuls cette fois ci à près de 2500m d’altitude, une lune bizarrement hachée en deux nous toise et nous guide à moitié. Mais on avance sur ce terrain joueur pavé de bloc immenses de granits parfait en sautant sur les arêtes perchées parfois à deux mètres au-dessus du sol.
On est enfin au cœur de la réserve naturelle de Néouvielle. Une lumière émouvante se lève sur ce secteur lacustre faisant alliance avec un silence parfait. Ses moments sans prix rachètent tous les autres…
Je suis vide, assis à la cabane d’Aygues Cluses, mes réserves alimentaires étaient une nouvelle fois bien trop justes. Je discute tout autant apathique que consterné avec un type, genre hipster de magazine, qui m’explique que, dans les derniers kilomètres, il y avait trop de cailloux. Et que d’ailleurs il y en avait tellement qu’on ne devrait même pas appeler ça un trail ! Là vraiment j’en reste sans voix… Petit à petit ce joli monde d’aventurier du week-end (dont je fais partie) change et je ne suis pas bien sûr que je lui reste bien adapté longtemps.
Bon assez rigolé ; montée-descente-montée gentille et on est au restaurant Merlans (dernier ravito km 203), enfin 15km et c’est la quille ! Carole nous galvanise, nous soigne comme elle seule sait le faire avant de faire avec nous la dernière montée.




La descente tout en course sur une petite sente est littéralement brûlante. Le soleil tape si fort que mes cheveux se métamorphosent en botte de paille attendant son briquet. J’entends distinctement François me parler alors que ses lèvres sont immobiles. J’ai un petit pète au casque à l’évidence. Heureusement je le plongerai, fumant dans un lavoir glacé un peu plus bas, et tout redeviendra instantanément plus clair.
Enfin les derniers kilomètres, on longe les eaux vives de la belle Neste d’Aure.





REDACTION : THIBAUT
crédit photos : Carole PIPOLO